Son beau-père et moi

Publié le par Jean-Louis Connard

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Seul dans le salon, face à un Ti' punch, je me demandais encore pourquoi j'avais accepté leur requête. Mes hôtes m'avaient supplié d'être présent, redoutant la découverte d'un beau-père qu'ils avaient invité à manger ce midi. Ma présence, aussi incroyable que cela puisse paraître, leur faisait l'effet d'une bouée de sauvetage, d'un phare dans une nuit trop sombre dont l'absence provoquerait une mort violente assurée contre les récifs saillants que l'on nomme "Belle Famille". J'étais donc là, sauveur pour les uns, certainement intru pour les autres, dans un repas familial qui ne me concernait point. Je redoutais surtout les présentations :

"- Bonjour, je suis la Maman, voici mon mari. Et vous êtes?...

- Heu...moi... je suis quelqu'un qui connaît bien votre fille et votre gendre...et...euh...voilà..."

Bref, de quoi croiser les genoux en fixant le sol.

Et pourtant, même si je dois avouer que l'attente de leur arrivée était aussi stressante que celle d'un soir de mai 2002, leur venue fut une récompense. Rien qu'à voir le beau-père en question, j'ai su que j'étais tombé sur un champion du Monde, faisant parti de l'élite qui surnage au-dessus de la population, un peu comme le saindoux au-dessus des rillettes. Petit, maigre, sec et ridé, des tatouages fais à l'aiguille derrière une caravane partout sur les mains et les avant-bras, la voix rocailleuse de l'homme qui a fumé toute sa vie malgré son RMI, il semblait sortir des Baumettes.  Il n'avait pourtant pas l'air d'avoir purger une peine pour meurtre, mais plutôt pour vol à l'étalage. Il disait avoir travaillé pour le BTP, mais je le croyais à peine, car un parpaing pesait deux fois plus lourd que lui. Ce quincagénaire n'arrêtait pas de dire "C'est trop puissant!". Le grand écran du salon? Trop puissant! Les consoles de jeux? Trop puissant! Le vin? Trop puissant! L'écouter était un régal pour  nous les gens normaux. Le comble de sa bêtise fut atteint lorsqu'il essaya d'attiser la sympathie de mon ami. Il se trouve que ce dernier est antillais. Ca n'a pas loupé, nous avons vécu un acte de racisme banalisé. Alors qu'il était en train de servir l'apéro, le type regarde mon pote droit dans les yeux, et, le verre à la main et le sourire aux lèvres, il lui dit : "J'ai un bon copain, il est Martiniquais." Trop bon.

Arriva alors l'heure tant attendue du repas. Voulant faire plaisir, notre invité de marque se mit à servir le vin. Bien sûr, il se servit en premier, mais dans le verre à moutarde qui était destiné à l'eau! Un verre aux 3/4 plein! Comme nous nous étions déjà servi en Cristaline, il nous servit dans les verres à vin, qu'il remplit aussi aux 3/4! La bouteille fut vidée en un service, et nos verres faisaient plus penser à des carafes qu'à autres chose... Mes amis avaient pris soin de prendre un vin moyen, un Bourgueil de l'étagère du bas d'Intermarché, et d'acheter un rôti à 2€36 accompagné de pommes dauphines. Ce qui aurait pu passer pour un menu insultant était pour cet homme un plat de roi, un menu trop puissant.

Ce plaisir fut de courte durée, car à peine le café bu, mon amie décida de les ramener chez eux. Ils n'ont même pas eu le temps de roter que les voilà sur la banquette arrière de la R5, en direction de ce village qui n'a rien a envier à Disneyland Paris : Goussainville. J'ai passé cette journée partagé entre la gêne et l'allégresse. Je ne sais pas si je pourrais recommencer, mais il était impossible pour moi de ne pas relater cet évènement.

Mais quand même...chacun ses beau-parents, bordel!!

 

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